• Sylvia Jeanjacquot, Ma vie avec Mesrine

    Jacques Mesrine, pour mémoire d’amoureuse

    mercredi 19 octobre 2011, par Alexandre Mathis


    Un policier à Sylvia Jeanjacquot, compagne de Mesrine : "Ils ont tiré d’emblée parce qu’il n’était pas question qu’il puisse s’en sortir."

    Une fusillade digne de Bonnie and Clyde : vendredi 2 novembre 1979, 15h15, place de Clignancourt, à deux pas du marché aux puces, Jacques Mesrine, surnommé l’ennemi public n°1, est flingué en plein Paris. Une fusillade qui dure près d’une minute. Quatre hommes planqués derrière la bâche d’un camion qui bloque la route à la BMW de Mesrine ont ouvert le feu, sans faire de sommation, comme le confirmera, seul, Charles Pellegrini, chef de l’Office central de répression du banditisme. Les impacts inondent le pare-brise. Mesrine n’a rien vu venir. La vision est très proche de la fin du couple de gangsters dans le film d’Arthur Penn. Mesrine est entré dans la légende. Il fallait « en finir avec l’affaire Mesrine  ». Cette « affaire Mesrine » agaçait Giscard, et certainement l’inquiétait. Mesrine était la personnalité la plus populaire en France en 1978.

    Sylvia Jeanjacquot, la compagne de Jacques Mesrine, très gravement atteinte, témoin gênant, survit par miracle. Elle perd un œil, entre autres blessures gravissimes. Le 2 novembre est l’anniversaire de Sylvia. Des flics ne retiennent pas leur joie, scènes de liesse devant la voiture appartenant officiellement à Sylvia. Le corps ensanglanté de Jacques Mesrine est exposé pendant près d’une heure. Cet exploit médiatique était aussi une façon habile de faire taire l’affaire Boulin, qui faisait encore les gros titres la veille.

    Pourquoi pas 39

    Le temps passant, tout et n’importe quoi est écrit sur celui qui a probablement été amusé d’être surnommé l’ennemi public n°1, et qui en octobre 1979 en avait assez d’être l’ennemi public n°1. Il voulait partir en Italie avec sa compagne. Au fil des décennies, de Bernard Pivot à Jean-Claude Brialy, en passant par Noël Mamère plus récemment, on a entendu dire que Mesrine tuait des gens. On se demande où ces gens-là s’informent !

    On lit aujourd’hui dans la presse que Mesrine avait 39 meurtres sur le dos. Pas moins. 39 vient d’une boutade lancée par Mesrine lorsqu’il est arrêté par le commissaire Broussard en 1973.

    Mesrine n’avait pas de sang sur les mains. Il a tué un policier au Canada, lors d’un contrôle, c’est vrai, échange de tirs réciproques, avec Jean-Paul Mercier, crime pour lequel il n’était pas poursuivi en France. Mesrine écope, en 1977, 20 ans de QHS, pour braquages et autres méfaits, sans morts d’hommes. Procès retentissant, qui fait rire beaucoup de monde, raison de sa popularité. Le procès est suivi par la presse comme un feuilleton quotidien, où l’accusé ridiculise, avec finesse, magistrats et policiers, preuves à l’appui à ce qu’il dit. Années passant, ceux qui parlent de Mesrine recopient l’ânerie de l’autre. On lit aujourd’hui dans la presse que Mesrine avait 39 meurtres sur le dos. Pas moins. 39 vient d’une boutade lancée par Mesrine lorsqu’il est arrêté par le commissaire Broussard en 1973.

    À travers la porte, les deux hommes échangent des paroles… Mesrine tardant à ouvrir… Entre nous combien tu as de crimes sur la conscience, tu peux me le dire, 10, 20 ?… Pourquoi pas 39 pendant que tu y es ! Les légendes naissent parfois d’un quiproquo. « Le tueur aux 39 crimes  » fera la une de France-Soir en lettres grasses. Ne pas omettre que beaucoup font pas de distinction entre crime de sang et « crime ». Un vol à main armé est un crime, pour devoir tout expliquer.

    Le cinoche s’en mêle pour le pire…

    Il y avait eu déjà, en 1984, Mesrine d’André Génovès, producteur de Chabrol. Une nullité. Ridicule. Tout sonnait faux. À retenir, par contre, le film, constitué de documents, réalisé par Hervé Palud, avec le concours du journaliste de Libération Gilles Millet, Jacques Mesrine, sorti en 1984. Quatre cars de CRS stationnaient le soir de la sortie devant le cinéma de René Château, Le Hollywood Boulevard, boulevard Montmartre… comme si Mesrine allait revenir. Le ridicule ne tue pas. Mesrine avait encore la cote.

    Sylvia Jeanjacquot, mental blindé depuis l’enfance, qui se décrit comme distante et froide de nature, sort de ses gonds lorsque Thomas Langmann, producteur d’Astérix, met les bouchées triples, avec Jean-François Richet pour commettre l’innommable. Mesrine l’instinct de mort. Difficile de faire pire. Le film devait à l’origine être réalisé par Barbet Schroeder. C’est pas le même étage. Richet, qui filme comme un gougnafier, ne sait faire que dans la surenchère. Vincent Cassel, que Sylvia Jeanjacquot trouve grotesque, vocifère, à longueur de film, bide à l’air. Ce qui agace et révolte profondément l’ancienne compagne de Mesrine, on la comprend, on le serait à moins. Pas besoin d’avoir connu Jacques Mesrine personnellement pour voir, quand on a épluché la presse des années 1970, que l’on est à des années lumière de toute ressemblance avec le vrai Mesrine. Ludivine Sagnier, incarnant le personnage de Sylvia Jeanjacquot, quasi-inexistant d’ailleurs, et qui avait habitué à mieux, ne trouve pas davantage grâce à ses yeux. L’actrice, dans une interview, donne son avis sur un sujet qu’elle ne connaît pas, parle de Sylvia Jeanjacquot qu’elle ne connaît pas davantage. La genèse de Ma vie avec Mesrine est née.

    Ridiculiser… peut tuer

    Ma Vie avec Mesrine raconte les dix-huit mois que Jacques et Sylvia ont vécus ensemble. Un amour passionné, qui aurait pu faire un beau film romantique. Cela commence par la drague patiente d’un homme déguisé en prolo, salopette à la Coluche et casquette de marin, au comptoir d’un bar américain à Pigalle, où Sylvia supervise les entraîneuses aux bouchons. Par petites touches, le récit restitue cet univers particulier.

    Sylvia plaque son boulot pour suivre celui qu’elle aime. S’ensuivent l’entrée délibérée dans la clandestinité avec clôture du compte bancaire, et la cavale avec l’ennemi public n°1, fraîchement évadé de la prison de la Santé, l’Italie, l’Angleterre, la dèche, les planques passage Saint-François et rue de Clignancourt, presque sous forme de chronique (« Les gens imaginent des trucs hollywoodiens. Notre vie n’est pas facile. Il faut vraiment qu’on soit amoureux pour tenir !  »), l’achat de perruques (« Il faut qu’elles tiennent vraiment  »), avec des hauts, inédits, apportant un plus aux versions officielles connues jusqu’ici.

    Quand Mesrine décide de faire une visite au juge Petit pour l’impressionner, l’expédition foire, et le complice, Nounours, balance l’adresse de la planque. En faisant les courses, Sylvia, encore inconnue, aperçoit Broussard. Elle le dit à Bruno (ils s’appellent dans leur film). Raccord de l’anecdote avec ce qu’un journal à l’époque des faits avait titré : Le Coup de la poubelle. Cela donnait dans la presse : « j’ai vu Broussard, je sortais ma poubelle, il ne m’a pas vu, il était à deux mètres.  » Cela amuse beaucoup. Pas les flics.

    Michel Schayewski, dernier ami du couple, note dans la postface du livre : « Jacques ne détestait pas les flics plus que ça. Plus que par la haine de la police, il était animé par un désir inassouvi de faire le zazou avec les médias. Il marchait dans leur jeu et, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il suffisait de pas grand-chose pour les faire marcher. » Le Mesrine de Sylvia n’est pas celui de Richet. Généreux, plein de précautions, fin cuisinier (lapin à l’estragon, truite en gelée, rôtis…), « fleur bleue » à ses heures, grand seigneur dans ses actes quotidiens, il a ses humeurs, « Jacques ne s’est pas seulement fait piéger. Il est le seul responsable de ses emportements. Il aimait tellement le registre de la provocation ! Il aimait tellement se mettre en avant !  » On se rappelle l’admiration que Gérard Lebovici portait à Mesrine pour sa façon de jouer avec les médias, à une époque où les noms de Belmondo, Audiard, Godard circulaient pour d’éventuels films. Mesrine était vivant.

    L’affaire Lelièvre

    L’acmé du bouquin tourne autour du kidnapping du milliardaire octogénaire, toujours vaillant, Henri Lelièvre, propriétaire louant des appartements à la limite de l’insalubrité, que Mesrine décide de kidnapper. Avec beaucoup de cran, de justesse, de retenue, Sylvia Jeanjacquot raconte la vraie version ‒ que l’on connaissait sans qu’elle fût jamais révélée ‒ autour de sa présence sur les lieux où Henri Lelièvre est retenu. Les rapports entre les deux hommes ne se déroulent pas mal.

    J’ai assisté en 1982 aux assises de Paris à ce long procès, où figuraient Michel Schayewski et sa compagne, Charlie Bauer et sa femme. Le vieil homme n’avait pas de haine contre Mesrine. Il avait été longuement question à ce procès des « repérages » de Mesrine ‒ mot qui revient souvent, chez Jeanjacquot comme au procès ‒ des photos qu’il faisait, des notes qu’il prenait, presque comme s’il préparait un film, le président Guy Floch, décédé, le plus humain qu’on pût voir aux assises, et certainement le plus intelligent, curieux de cerner la personnalité de Mesrine, cherchait à savoir qui il était réellement. Sylvia Jeanjacquot (mise en liberté surveillée fin 1981) écrit à ce sujet : « le président de la cour d’assises de Paris, Guy Floch, me laisse sortir, le saint homme.  » Mesrine n’avait cessé de prendre des photos de Sylvia autour de la maison où le milliardaire était retenu, et le débat s’était étendu sur l’éclosion des fleurs à des périodes déterminées, ce qui changeait d’autres procès, moins colorés.

    La narratrice de Ma vie avec Mesrine apporte sa version et sa vision, l’envers d’évènements que l’on ne connaissait qu’extérieurement. D’autres silhouettes retiennent l’attention, la gardienne de la rue Belliard, le dernier domicile connu, qui a Sylvia à la bonne, ce qui jouera pour son acquittement. Jacques Derogy, journaliste à L’Express, que Mesrine avait menacé de mort depuis sa cellule à la Santé, objet d’une couverture de L’Express en 1975, vient voir Sylvia à l’hôpital, et dénonce ses conditions de détention.

    Les moments précédant le procès, avec son avocat, Henri Juramy, figurent parmi le meilleur du récit. Sur son avocat parlant de Mesrine aux assises : « Il me fait rire. J’essaie de rester sérieuse. Une autre fois, il dit : « Il faisait comme tout le monde, il allait chercher l’argent à la banque !  » Précisons qu’à l’inverse du film de Richet, quand Mesrine « faisait ses courses », expression pour qualifier ses braquages, il n’entrait pas un flingue dans sa chaque main, en tirant dans tous les sens. N’est pas Tarantino qui veut. (Heureusement.)

    Je connaissais, par Michel Marmin, Jusqu’au bout de la nuit, le très beau film, peu connu, réalisé par Gérard Blain, avec Anicée Alvina et Blain lui-même, tourné en 1995, à partir de l’affaire Lelièvre, pour lequel Marmin avait écrit des scènes, film dédié à Sylvia Jeanjacquot dans lequel elle apparaît d’ailleurs en avocate avec Michel Schayewski en policier. Sylvia rend un hommage brûlant à Gérard et à Marie-Hélène Blain, sa famille, les premiers à l’avoir soutenue. Le chapitre 15 « Et pourtant je suis coupable de tout ce dont j’ai été accusée  » fait écho à Gérard Blain. «  Il ne me pose aucune question. Je pense qu’il savait. »

    L’affaire Lelièvre, côté flics, est l’objet d’un autre récit par Lucien Aimé-Blanc (autre flic important place de Clignancourt) dans La Chasse à l’homme, un des rares livres lisibles sur Mesrine, ancré sur la même période 1978-79. Mesrine y est appelé « le grand Jacques. » Dès le début du livre de Sylvia Jeanjacquot, un policier de l’OCRB donne sa vision de la fusillade de Clignancourt : « Ils ont tiré d’emblée parce qu’il n’était pas question que Mesrine puisse s’en sortir. Il était dangereux dehors, mais il l’aurait été encore plus en prison, parce qu’il aurait mis le souk dans les QHS, les fameux quartiers de haute sécurité où l’on enfermait les plus récalcitrants. »



    Repères :

    Sylvia Jeanjacquot, Ma vie avec Mesrine, de Sylvia Jeanjacquot, Plon, Paris, 238 pages, 18 euros. Sortie : septembre 2011.


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